
La fermeture du Pechelbronn
En 1950, en dépit des efforts réalisés pour relever la production
au niveau d’avant guerre, il s’avère que celle-ci se maintient aux
environs de 57.000 tonnes/an. La protection douanière a disparu et a
été remplacée par un soutien accordé par l’Etat
pour trois ans (1951-1953) (Fonds de soutien des hydrocarbures
nationaux). Ce soutien correspond en 1951 au remboursement des taxes
intérieures, mais il est dégressif d’année en année.
La SAEM Pechelbronn (Société alsacienne d’exploitation minière) s’était
pourtant préoccupée de rechercher des gisements plus productifs. En
1948, elle s’était ainsi associée au Bureau de recherche du pétrole
(BRP) pour créer le SERPA
(Syndicat d’études et de recherches pétrolières en Alsace), dans lequel elle détenait 55 % des parts.
Ensemble, Pechelbronn et le BRP ont ensuite mené un vaste programme de
prospections dans les terrains secondaires. Puis, en 1952, le SERPA
s’est transformé en SREPA (Société de recherche et d’exploitation du
pétrole en Alsace),
dans laquelle Pechelbronn n’avait plus que 9 % des actions. En 1953,
enfin, cette société est devenue la PREPA. De nouveaux gisements seront
alors effectivement découverts, mais à Lacq, dans les Pyrénées
atlantiques.
Parallèlement, la SAEM Pechelbronn s’est efforcée de comprimer ses
dépenses d’exploitation de telle sorte qu’elles s’équilibrent avec les
recettes résultant à la fois de la vente de ses produits et de la
subvention d’Etat (17.000 francs/tonne en 1949).
Mais cet effort d’économie n’atteint pas ses objectifs, car, suite à
l’inflation, les frais d’exploitation ont augmenté de 33 % et le
soutien public a diminué de 17 % entre 1949 et 1951. L’équilibre
financier de l’exploitation était donc définitivement rompu.
Le 1er octobre 1951, la direction est ainsi amenée à décider une
première compression d’effectif de 300 personnes. Mais déjà elle sait
qu’elle ne suffira pas. En l’absence de subvention conséquente ou de
découverte importante à bref délai, l’effectif ouvrier, qui était alors
de 1.900, devra être réduit de moitié progressivement.
Les syndicats se mettent alors à alerter les maires et conseillers
généraux des cantons de Soultz-sous-Forêts et de Woerth. En septembre
1951, ces derniers envoient une motion au ministre du Travail à Paris,
dans laquelle ils demandent l’annulation des licenciements ainsi qu’une
enquête approfondie, faite par une commission compétente nommée par le
gouvernement et qui comprendrait une délégation de maires des deux
cantons.
La motion est signée par M. Blavin, maire de Woerth, conseiller général
et président des maires du canton de Woerth, M. Schneller, conseiller
général du canton de Soultz, M. Laeuffer, maire de Soultz et président
des maires du canton de Soultz,
ainsi que par M. Schiellein, maire de Merkwiller-Pechelbronn.
Le 25 janvier 1952, la direction générale de Pechelbronn, les syndicats
ouvriers CFTC et CGT, les membres de la Commission spéciale du Conseil
général, les sous-préfets de Wissembourg et de Haguenau, les maires de
Soultz et Surbourg,
réunis sous la présidence du préfet du Bas-Rhin, après analyse de la situation, établissent le protocole d’accord suivant :
- la direction de Pechelbronn s’engage à déposer dans les plus brefs
délais une nouvelle demande de subvention de l’Etat en vue de réaliser
l’équilibre financier de la société, de maintenir l’activité du
gisement et d’occuper tout le personnel ;
- les parties conviennent d’entreprendre des démarches pour obtenir
l’intensification des recherches dans la vallée rhénane et d’obtenir
l’appui des pouvoirs publics pour que, quel que soit l’exploitant,
l’exécution du programme soit réservée au personnel
de Pechelbronn ;
- dans le cas où la réorganisation la plus économique et les recherches
ne devraient pas permettre le plein emploi, un reclassement progressif
du personnel serait à prévoir. Ce reclassement se ferait par une
commission présidée par le préfet du Bas-Rhin, auquel s’adjoindraient
l’ingénieur en chef des mines, le représentant de l’inspection du
travail, le représentant de la direction de Pechelbronn, les
représentants des syndicats.
Ce protocole comporte une annexe en quatre points :
- la direction générale déclare ne plus procéder à des licenciements collectifs ;
- les parties sont d’accord pour que la direction générale tienne le
personnel au courant des possibilités de départs volontaires du 1er
février au 31 mars 1952. Les volontaires bénéficieront d’une indemnité ;
- pour les mises à la retraite d’office, une commission examinera les
cas des personnes mises à la retraite avec le maximum de compréhension ;
- il ne sera pas procédé à de nouvelles mises à la retraite normales.
Le 28 janvier 1952, la société Pechelbronn adresse une demande de
subvention au ministère de l’industrie et de l’énergie à Paris, avec le
protocole d’accord du 25 janvier 1952. Dans cette lettre la SAEM
mentionne :
- les efforts réalisés depuis le 1er janvier 1951 pour réduire les
frais d’exploitation avec réduction des effectifs de 2.159 à 1.449
personnes, soit – 710 personnes :
Effectifs 1.1.51 1.2.52
Sondages 449 214
Puits 881 669
Usines 410 317
Services généraux 369 249
Total 2159 1449
- le programme d’exploitation pour 1952 :
- puits : les différents sièges actuels seront maintenus en activité.
- sondages : 5 tours de forage seront remises en service (forages arrêtés en 1951)
- usines : traitement au maximum de possibilités de valorisation.
- le programme financier pour une production de 5.000 t de brut/an :
- dépenses : 2.145 millions de francs,
- recettes : 1.705 millions, dont 16.000 francs de subventions par tonne, soit 800 millions de francs.
La SAEM demande également au Fonds de soutien aux hydrocarbures
nationaux de consentir un soutien exceptionnel de 440 millions de
francs pour l’année 1952. Elle écrit : « Si la seule considération du
prix de revient technique, lui-même assujetti
aux conditions économiques, devait nous contraindre à décider l’arrêt
des travaux de toute nouvelle production sur la concession, il en
résulterait la suppression d’emplois immédiate de 900 personnes. Ce
serait apporter un trouble profond à la région ».
Par une note du 1er février 1952, la direction générale informe le
personnel des possibilités qui lui sont offertes de pouvoir quitter
volontairement la société avec versement d’indemnités.
En 1953, la société SAEM fait de gros investissements dans la
raffinerie afin de pouvoir réceptionner et raffiner des bruts
étrangers. Ceux-ci devaient transiter par Anvers et Strasbourg. Des
personnels de sondages et puits seront mutés à la raffinerie
(environ 10 personnes).
A la fin de 1953, à la suite d’un entretien à Paris avec M. Charles
Lambert, PDG de Pechelbronn SAEM, M. Schiellein, maire de
Merkwiller-Pechelbronn et conseiller général du canton de Soultz,
établit les points suivants :
- que le licenciement des 680 personnes prévu pour le 1er janvier 1954
a pour cause la diminution de la subvention accordée par l’Etat, de
15.000 F/t à 10.100 F/t. Pour l’éviter, il faudra pour 1954 un soutien
de 240 millions ;
- M. Lambert promet d’intervenir à ce sujet auprès de M. Louvel,
ministre du Commerce, mais il ne croit pas à une suite favorable à sa
demande ;
- M. Schiellein demande au PDG s’il juge utile les démarches
entreprises par les maires, conseillers généraux et députés auprès des
ministères compétents pour appuyer la demande de soutien
supplémentaire. M. Lambert répond qu’il ne demande qu’à être soutenu
par tous les élus dans toutes les démarches qu’il entreprend auprès des
pouvoirs publics.
Mais à compter du 1er janvier suivant, le soutien aux hydrocarbures
d’origine nationale, qui se montait en 1953 à 8.300 F/t en moyenne et
qui selon la nature du brut produit variait entre 6.200 et 17.000 F/t,
est supprimé. Il est remplacé par une protection douanière, dont le
montant ne sera plus que de 2.500 F/t, chiffre aligné sur les grands
producteurs mondiaux, ce qui éliminait d’office les petits gisements.
En 1955, la Société d’études des industries du pétrole au port de
Strasbourg, dont le président est le PDG de Pechelbronn SAEM, dépose au
ministère de l’industrie un projet de création d’une raffinerie au port
de Strasbourg
En 1956, découverte de grands gisements de gaz et de pétrole brut au
Sahara. Mais à Pechelbronn, la prospection par forage est arrêtée. Le
service disparaît.
En 1958/1959, création de la société La Raffinerie de Strasbourg SA. Le
groupe Antar/Pétrole de l’Atlantique y participe. La mise en service
est prévue pour 1963. La société Pechelbronn
fait de nouveaux investissements dans la raffinerie pour fabriquer des
sulfonates de calcium. Est également créée la Société du pipe-line sud
européen.
Début 1963, la SAEM prévoit d’arrêter les pompages d’huile brute,
l’exploitation minière ainsi que le raffinage des bruts alsaciens et
étrangers. Mais à la raffinerie, elle prévoit de redistiller des
essences spéciales et de fabriquer des sulfonates de calcium, pendant
que l’atelier d’entretien des forages de Biblisheim se mettrait à
produire des radiants pour le compte d’Antargaz.
Le 24 mai 1962, le Comité de défense de la région de Pechelbronn, formé
par le député, le conseiller général, l’Amicale des maires des cantons
de Woerth et de Soultz, les syndicats CFTC et CGT, les représentants
des retraités, l’Union pour le développement économique du nord de
l’Alsace envoient un mémoire sur la situation économique aux ministres
de l’Industrie, du Travail et de l’Intérieur. Ce document évoque les
revers subis par l’Alsace du nord par suite de la fermeture de
nombreuses entreprises, notamment celle de Pechelbronn. Déjà des
milliers de personnes sont obligées de travailler en Allemagne. Le
Comité demande l’implantation de nouvelles entreprises dans la région.
Au cours de sa séance du 10 avril 1962, le Conseil général propose de
reconstituer une commission spéciale pour étudier les problèmes
soulevés par la fermeture de Pechelbronn.
Le 18 octobre 1962, le préfet du Bas-Rhin reçoit une délégation du
Comité de défense de la région de Pechelbronn pour étudier avec elle la
possibilité de trouver une solution humaine au problème douloureux de
la SAEM. La délégation remet au préfet
une motion, dans laquelle elle demande de trouver des industries de remplacement pour la région.
Le 14 octobre 1962, les Dernières Nouvelles d’Alsace publient un
article, indiquant que de nouvelles structures pétrolières sont sur le
point d’être installées dans la région (raffineries, pipe-line, etc.),
que la direction de la SAEM vient d’établir pour son personnel un
tableau de reclassement en fonction des nouveaux emplois ainsi créés,
et que ce reclassement concerne 477 personnes.
Leur répartition est la suivante :
- 85 seront embauchées par la raffinerie de Strasbourg,
- 77 vont arriver à la retraite au 1er avril 1963,
- 1 est embauché par la raffinerie de Reichstett
- 38 personnes n’ont pas demandé le reclassement
- 1 délégué
- 68 restent disponibles.
En 1963, arrêt de toute activité d’extraction et de raffinage de
pétrole brut. Mais la raffinerie redistille des essences spéciales en
provenance de la raffinerie de Donges (de 1962 à 1965). La raffinerie
de Strasbourg est mise en service et reprend
effectivement 85 personnes de Pechelbronn. Le pipe-line sud-européen
Marseille-Karlsruhe est lui aussi mis en service. Est également créé
une société Pechelbronn-Progil pour la fabrication de sulfonate de
calcium à la raffinerie.
Le 13 décembre 1964, Pechelbronn SAEM résilie le contrat qui lui avait
donné naissance en 1921, contrat par lequel l’Etat français lui avait
amodié l’exploitation des mines et industries implantées dans la région
de Merkwiller.
En 1965, la redistillation des essences spéciales est arrêtée à la
raffinerie. Il n’y reste que la fabrication des sulfonates de calcium
et des alkybenzènes.
A l’assemblée générale extraordinaire du 11 juin 1966, Pechelbronn SAEM
est transformée en Pechelbronn SA. Suppression du statut des mineurs
pour le personnel restant, qui relève désormais de la convention
collective nationale de l’industrie du pétrole. Le 11 juin, M. Meynial,
cheville ouvrière du rapprochement avec le groupe Worms, est nommé
administrateur au Conseil d’administration de Pechelbronn. Pechelbronn
cède son atelier de Biblisheim à Antargaz.
Au 1er janvier 1966, la situation de l’emploi est la suivante :
Pechelbronn-Progil : 49 personnes
Antargaz : 120
Pechelbronn SA : 5, non compris les personnels des bureaux de Pechelbronn à Strasbourg.
En 1966, Pechelbronn fusionne avec la Société des transports maritimes pétroliers (STMP). Ses actions sont mises au porteur.
Le 31 mars 1970, Pechelbronn-Progil cesse ses activités à Merkwiller et
licencie les 25 dernières personnes. La SA Pechelbronn laisse à
Merkwiller un échelon administratif pour sa liquidation (questions
sociales, vente de matériel, démontage de la raffinerie). Le 20 juin
1970, le groupe Worms acquiert 45 % du capital de Pechelbronn, qui
devient holding industriel. En décembre 1970, Progil est mise en
liquidation.
Le 5 avril 1971, Pechelbronn et Pechelbronn-Progil vendent les terrains
et le matériel de la raffinerie à la société Otto Lazar-Metz.
En 1976, dissolution de l’échelon administratif. M. Jérôme, dernier cadre, quitte Pechelbronn le 30 septembre 1976.
D’après Alfred Michel